Dernièrement, Jean HOUASSIN de Villers-Poterie m’a offert ce carnet rédigé par Marcel MEUNIER. En le feuilletant, j’ai découvert une multitude d’articles de presse concernant des faits qui se sont passés à Acoz.

J’ai de suite été intéressé par des coupures de presse relatant le procès des assassins d’Hector POULEUR.
Je les ai retranscrites pour vous présenter une agréable lecture.
Encore un sombre drame, aussi odieux qu’imbécile, dont les tueurs rexistes ont à répondre. Celui qui coûta la vie à Hector POULEUR, conseiller communal à Acoz et président des Anciens Combattants 1914-1918. Un honnête homme, avons-nous déjà dit, qu’abattirent comme un chien les spadassins de l’ordre anciennement nouveau.
La foule est exceptionnellement nombreuse, qui garnit jusqu’à ses moindres recoins, le vaste prétoire. Une assistance-record qui bat « celle de Daumeries ». Beaucoup de femmes. La délégation d’Acoz est particulièrement importante.
Public bien sage qui sera tout yeux et tout oreilles jusqu’à la fin de l’audience.
Cinq accusés ont été cités, ce sont, dans l’ordre :
Victor DUBREUCQ, cordonnier, 55 ans, avenue Vandervelde 10 à Bouffioulx
Jean AVART, négociant, 31 ans, rue Neuve 51 à Charleroi
Jules ROOSENS, plombier-zingueur, 43 ans, rue de Beaumont 175 à Marchienne-au-Pont
Georges DE HEUG, négociant, 52 ans, quai de Brabant 17 à Charleroi, résidant à Montigny-le-Tilleul
Jean RYS, employé, 41 ans, chaussée de Mons 22 à Dampremy. Ce dernier court encore. On le sait, c’est un récidiviste du crime qui se fit la main en abattant Emmanuel DUMONT de CHASSART, bourgmestre de Saint-Amand.
A 2 heures 40, les autres accusés, suivant de près les membres du Conseil de Guerre que préside Monsieur le Juge SALLIEZ, pénètrent dans la loge vers laquelle convergent mille paires d’yeux.
Visages divers. Ames d’une égale noirceur. Leurs regards inquiets embrassent furtivement la nombreuse assemblée à la recherche, semble-t-il, d’une figure amie.
AVART, cette vieille connaissance des habitants du prétoire, n’a pas abandonné son attitude méditative, contrite et humiliée des précédentes audiences au cours desquelles il se fit infliger à trois reprises la peine de mort. Il a engraissé, le gaillard. Il fait penser à un frère lai écoutant humblement une homélie de son prieur. DUBREUCQ a l’air d’un paisible artisan, ROOSENS d’un gaillard qui n’a pas froid aux yeux, qui dissimule derrière de larges lunettes d’écailles. DE HEUG, qu’enveloppe un large loden beige, a le masque dur et paraît s‘ennuyer très fort de se trouver là.
L’AUDIENCE
Dès le début de l’audience, Maître GALLEZ, défenseur de DUBREUCQ, se basant sur la défaillance de RYS, demande la disjonction de l’affaire en ce qui concerne son client.
On ne voit pas très bien la portée de ces conclusions que le Conseil rejette après deux minutes de délibération.
L’ACTE D’ACCUSATION
Monsieur le Substitut de l’Auditeur MAYENCE qui instruit plus particulièrement le cas de tous les tueurs, a maintenant la parole pour faire l’exposé. Nos lecteurs les connaissent. Résumons-les brièvement en suivant l’acte d’accusation.
Le 24 juillet 1944, les époux DESCARTES, parents d’un légionnaire, étaient abattus par les patriotes à Acoz-Lausprelle. Le jour de leurs funérailles, plusieurs maisons sont saccagées dans le hameau par les Rexistes. L’ire de ceux-ci n’était pas encore apaisée. Il fallait encore faire mieux. Ou pire. Le 28, AVART et RYS, qui étaient attablés au Café Métropole tenu par le rexiste Jean FINET, aux Quatre-Bras de Gilly, s’y rencontrent fortuitement avec Victor DUBREUCQ, chef de Rex-Bouffioulx. On remplit les verres et on parle naturellement des événements d’Acoz. Justement une bombe vient d’éclater chez le légionnaire HENROT, chaussée de Châtelet à Gilly. AVART et RYS sont donc démontés. Il leur faut une victime expiatoire. Mais laquelle ? Cela tombe bien. DUBREUCQ est là qui leur donne trois noms, dont celui d’Hector POULEUR. Celui-ci est donc condamné à mort. Quels seront les exécuteurs de ces basses œuvres ? DE HEUG et ROOSENS ont justement eu des ennuis avec les patriotes. On leur fait la proposition au local rexiste de Charleroi. ROOSENS se récuse mais il accepte d’être de l’expédition. DE HEUG, au contraire, revendique l’honneur d’abattre POULEUR. Comme il n’a qu’un revolver de pacotille, RYS lui en fournit un plus adéquat. RYS qui est au volant de l’auto, ROOSENS, AVART et DE HEUG partent donc pour Acoz. POULEUR est arrêté à son domicile et emmené vers la bois de la Ferrée à Nalinnes. On le fait descendre. RYS fait un signe et DE HEUG l’abat d’un coup de revolver dans la nuque. Il tire un deuxième coup, à bout touchant dans l’oreille. Veut en tirer un troisième mais l’arme qui est pleine de sang s’enraye.
Leur coup fait, les quatre complices rentrent à Charleroi, abandonnent leur innocente victime dans un fossé.
L’auditeur termine cet impressionnant exposé en révélant que AVART a proposé à l’Etat-Major de Rex d’accorder à Georges DE HEUG, la « Croix du Sang ». Un « oh ! » prolongé court dans l’auditoire.
L’INTERROGATOIRE
Monsieur le Président SALLIEZ procède maintenant à un court interrogatoire.
DUBREUCQ nie les faits. Il n’a désigné personne à la vindicte rexiste.
AVART est plus loquace et plus sincère. Il reconnaît sa participation au crime dont il décrit les différentes phases : « ni RYS, ni moi, nous ne connaissions POULEUR ». Sur une question du Président, AVART déclare : « il me répugne d’accuser un absent (RYS) mais dans l’intérêt de la vérité je me vois forcé de le faire ».
Interrogé à son tour, DE HEUG se dit d’accord avec le récit que vient de faire AVART. « Mais on a profité de mon état de surexcitation pour faire pression sur moi. Moi-même, je me sentais menacé… ».
Monsieur le Président : « on n’a pas dû faire beaucoup de pression, je crois ! ».
DE HEUG : « on m’avait dit que POULEUR était un communiste dangereux ».
ROOSENS, lui, ne voulait pas participer à l’expédition : « mais RYS était un type sournois, il fallait s’en défier ». (Rire de l’auditoire).
DUBREUCQ nie avoir été le chef de groupe de Rex-Bouffioulx-Acoz-Gerpinnes. Aussi ne connaissait-il pas POULEUR. Qu’il dit.
Monsieur l’Auditeur MAYENCE : « vous jouez sur les mots comme vous n’avez cessé de la faire au cours de l’instruction ! ».
LES TEMOINS
En vêtements noirs, Madame POULEUR, née Ida HOUYOUX, veuve de la victime, paraît la première au lutrin des témoins. Avec des sanglots dans la voix, elle évoque l’arrestation de son mari.
Monsieur le Président : « DUBREUCQ connaissait-il votre mari ? ».
Madame POULEUR : « avant la guerre, nous portions chez lui nos chaussures à réparer ».
DUBREUCQ : « je l’ignorais ». (Rires).
Son fils, Monsieur Roger POULEUR, confirme cette émouvante déposition.
Après quoi, on reprend l’audition des témoins. Yvonne COLLYNS et Louis BOURBOUSE n’apprennent rien de nouveau.
C’est chez le détenu Jean FINET, cafetier à Gilly, que les accusés ont décidé leurs représailles contre POULEUR dont le nom fut donné par DUBREUCQ, mais le détenu ne se souvient de rien. Il ne se souvient pas davantage de la bombe qui explosa chez son ami HENROT. Mais AVART intervient : « il faut que tout le monde prenne ses responsabilités petits et grands. C’est par nous que vous avez appris cette explosion » jette-t-il au témoin qui reste avec sa mémoire bouchée.
AVART intervient encore pour démentir DUBREUCQ au sujet des dénégations de celui-ci quant à son activité politique. Monsieur l’Inspecteur VAN CAUTER confirme que DUBREUCQ était mêlé aux pourparlers en vue des représailles. Mais le prévenu s’esquive toujours derrière l’un ou l’autre faux-fuyant : « si BERTRAND était rentré, il pourrait rétablir la vérité ». Maître MAYENCE : « nous le tenons, il est ici ». DUBREUCQ accuse le coup. AVART : « nous avons été trompés. Nous avons su trop tard que l’exécution de POULEUR ne se justifiait pas ». Maître MAYENCE : « quel est l’assassinat qu’on pouvait justifier ». AVART : « aucun, évidemment ».
ROOSENS, interrogé, déclare qu’il n’a pas voulu tuer par simple dégoût du meurtre : « c’est RYS qui a inventé l’histoire que je m’étais dérobé parce que j’étais cardiaque ».
En résumé, seul, DUBREUCQ s’est réfugié dans le maquis des dénégations.
LA PARTIE CIVILE
Plaidant pour la partie civile, Maître GEORGE ne manque pas, au seuil de sa plaidoirie, d’évoquer la mémoire de Monsieur Hector POULEUR, décrivant le patriotisme et l’esprit de dévouement envers ses concitoyens. Autant de choses, dit l’avocat, qui les désignaient à la vindicte de tueurs infâmes qui ont écrit une des pages les plus atroces de notre histoire.
Maître GEORGE s’efforce d’établir la responsabilité de DUBREUCQ qui savait à quelles gens il avait affaire. En leur livrant le nom de POULEUR, il savait que c’était un malheureux condamné d’avance. Car il savait les terribles précédents de Saint-Amand et d’ailleurs.
La partie civile ne s’étend pas davantage sur la responsabilité trop évidente des quatre autres complices et il développe aussitôt ses conclusions réclamant à ces cinq hommes, solidaires, le payement d’un dédommagement moral et matériel évalué à environ un million de francs.
LE REQUISITOIRE
Entre des phrases sobres, claires, incisives, Monsieur l’Auditeur MAYENCE échafaude son réquisitoire. Ce crime, dit-il, s’est perpétré sous le sceau de la cruauté et de la lâcheté.
L’organe de la loi amène tout d’abord sous ses fourches caudines, le prévenu DUBREUCQ qu’il débusque de son paravent de mensonges et de dénégations. Il a, dit-il, effectué, dénoncé à l’ennemi un honnête citoyen qui paya de sa vie cette dénonciation.
DUBREUCQ n’ignorait pas le sort qui serait réservé à Monsieur POULEUR. Il ne pouvait pas l’ignorer car il savait de quoi étaient capables RYS et AVART qui avaient déjà fait leurs preuves.
Monsieur MAYENCE évoque la participation respective des autres accusés dans le crime, a des mots très durs pour ROOSENS « qui faisait volontiers le bravache sur les trams » et fait passer une vague d’émotion dans tout l’auditoire quand il retrace la scène au cours de laquelle Georges DE HEUG, « ce bourgeois bien éduqué avec pignon sur rue » tua froidement, à bout touchant un bon père de famille.
Ce crime odieux, s’écrie-t-il, sous une tempête d’applaudissements, qui ne peut être sanctionné que par la peine de mort.
Dans leur box, les accusés sont livides. Seul AVART ne bronche pas. Il a l’habitude. Les paupières de DUBREUCQ battent derrière les orbes de ses lunettes. ROOSENS se gratte le menton et DE HEUG se masse les doigts.
LES PLAIDOIRIES
A Maître Joseph CHAUDRON incombe la lourde tâche d’essayer de sauver AVART d’une quatrième peine de mort. Il s’en acquitte, comme dans ses précédentes plaidoiries, en essayant de faire passer son client pour un taré, un malade, un irresponsable.
La tactique est peut-être bonne. Encore qu’elle n’a aucune chance de succès. Pas auprès de l’assistance certainement qui mêle ses rires à ses protestations.
Maître GALLEZ, défenseur de DUBREUCQ, ROOSENS et DE HEUG, demande quelques heures de répit pour revoir le dossier.
Il plaidera donc ce vendredi à 2 heures 30.
L’audience est levée à 5 heures.
A. R.
La foule était aussi dense que la veille. Comme hier aussi la table de la presse fait figure d’un îlot contre quoi battent les flots d’un public de plus en plus envahissant. Il n’écume tout de même pas mais il gène néanmoins les journalistes qui sont obligés de défendre ou reconquérir leurs chaises avant de pouvoir travailler à l’aise.
A 2 heures 45, les membres du Conseil de Guerre prennent place au siège. Les quatre prévenus sont aussitôt introduits dans leur box, cependant que la salle tout entière ondule et s’exclame.
LES PLAIDOIRIES
DUBREUCQ
Maître GALLEZ présente aussitôt la défense de Victor DUBREUCQ. L’avocat reconnaît que le prévenu faisait bien partie des formations politiques de Rex et en vient rapidement à aborder la question la plus épineuse pour son client, accusé surtout d’une « dénonciation ayant entraîné la mort de la victime ».
On sait que DUBREUCQ, malgré l’affirmation des enquêteurs et d’AVART lui-même, nie avoir donné le nom de POULEUR aux tueurs décidés à faire des représailles pour venger la mort des époux DESCARTES. La tactique du défenseur consiste donc, non sans adresse, à jeter un doute qui doit bénéficier à l’accusé. Y réussira-t-il ?
En attendant de le savoir, DUBREUCQ qui reste immobile, les mains derrière le dos, ne paraît pas être dans ses pantoufles. Et même, continue l’avocat, si DUBREUCQ a réellement dénoncé, il ne l’a fait qu’à des Belges. Monsieur l’Auditeur MAYENCE : « qui portaient l’uniforme de la Wehrmacht ». En terminant, Maître GALLEZ réclame encore la disjonction du cas de son client.
DE HEUG
Maître J. CHAUDRON parle ensuite pour DE HEUG « qui a tiré qu’en vertu d’un ordre de RYS ». (Rires dans la salle). DE HEUG, ajoute-t-il, au milieu d’une hilarité de la salle, voudrait demander pardon.
L’honorable défenseur faisait ensuite état de la surexcitation dans laquelle se trouvait son client à la suite d’un attentat et de menaces qu’il venait d’être l’objet, pour essayer d’expliquer le geste du tueur. Si la guerre n’était pas venue, DE HEUG, dit-il, serait resté un honnête homme.
A ce moment de la plaidoirie, DE HEUG a le visage décomposé. On devine ses efforts pour se contenir. Finalement, il pleure.
Maître CHARDON, dans sa péroraison, évoque les « bons et loyaux services » à DE HEUG qui fut volontaire de guerre en 1914. Maître MAYENCE : « pardon ! DE HEUG m’a déclaré qu’il était honteux d’avoir été volontaire de guerre et qu’il avait tout fait pour réparer cette erreur… ». (Sensation dans l’auditoire). DE HEUG jette deux mots à voix basse à son défenseur qui nie ces propos sacrilèges. Bon prince, Monsieur l’Auditeur MAYENCE n’insiste pas.
ROOSENS
Reprenant la parole, Maître GALLEZ, défendant ROOSENS, prétend, non sans habileté, que son client ne peut être considéré comme auteur ou co-exécuteur. Tout au plus, doit-on le juger comme un complice…
L’honorable avocat fait ensuite valoir des services rendus à des concitoyens par ROOSENS qui refusa d’ailleurs une levée d’otages quand sa maison fut l’objet d’un attentat. C’est pourquoi il réclame, en fin de compte, l’indulgence du Conseil de Guerre.
« N’avez-vous plus rien à ajouter pour votre défense ? » demande le Président SALLIEZ aux accusés.
AVART, le seul qui soit demeuré impassible au cours des débats, déclare : « j’ai toujours fait et je ferai tout pour amener la lumière. Je regrette que tous n’aient pas agi de même. Je demande, si c’est possible, l’indulgence pour ROOSENS ».
De son côté, DE HEUG nie avoir regretté l’erreur d’avoir été volontaire de guerre. Une voix dans la salle : « menteur ! ».
Sur une réplique de l’Auditeur MAYENCE qui s’offre à faire venir un témoin, les débats sont déclarés clos.
A 3 heures 35, le Conseil de Guerre se retire pour délibérer.
A 4 heures 25, il rentre dans la salle. Mauvais signe pour les accusés, Monsieur le Président SALLIEZ invite le public à s’abstenir de toute manifestation. Puis, au milieu d’un silence impressionnant, il donne lecture de l’arrêt.
Les conclusions de DUBREUCQ tendant à ce que son cas soit disjoint, sont rejetées.
Ensuite, dans un jugement longuement motivé, le Président du Conseil de Guerre lit les « attendus » de l’arrêt qui concluent à la condamnation à mort des cinq accusés : DUBREUCQ, AVART, ROOSENS, DE HEUG et RYS.
Ne tenant pas compte de l’invitation qui lui a été faite par le Président, l’assemblée éclate en bravos qui s’apaisent d’ailleurs d’eux-mêmes.
Madame POULEUR et sa famille ont obtenu 791.721 francs à titre de dommages-intérêts.
Les condamnés qui ont accueilli le verdict sans broncher, sont ensuite emmenés, poursuivis par les cris de la foule.
A. R.

LES EXECUTIONS

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A signaler que la famille ROOSENS, honorablement connue dans la région de Tarcienne, n’a aucun lien de parenté avec le condamné Jules ROOSENS.
© Alain GUILLAUME – Août 2020.