Il fut prononcé par l’Abbé François FLEURQUIN, curé de la paroisse Saint-Martin à Acoz lors des funérailles de l’organiste Victor TENRET, le 20 septembre 1924.

Je tromperais votre attente, si, au cours de la cérémonie funèbre qui nous réunit en ce moment, je ne vous adressais quelques mots.
Depuis 48 ans, Victor TENRET a été associé à tous les événements religieux de votre vie : il était près du prêtre au jour de votre baptême ; il a chanté avec joie au jour de votre première communion ; il était près du prêtre au jour de votre mariage et il a chanté avec tout son art aux funérailles de vos proches ; il a sonné pour toutes vos joies et pour tous vos deuils. Il a bien mérité qu’en votre nom, je lui dise un grand, un solennel merci.
Certes, tous nous l’aimions, notre « madjustêr », sans doute un peu pour son caractère jovial et ses réparties spirituelles, mais surtout pour les belles qualités qu’il craignait trop d’étaler au grand jour. Je ne veux pas faire l’éloge de ce bon chrétien que vous connaissiez si bien et dont la mort fut accueillie avec une émotion si vraie, si unanime ; je veux seulement faire ressortir devant vous la leçon qui se dégage de la vie et de la mort de notre ami, car pour reprendre le bon vieux mot que vous avez employé si souvent, il fut bien pour nous tous un « madjustêr », c’est-à-dire un homme qui donne une leçon, qui enseigne ; il a, en effet, et vous me permettrez de reprendre ici les mots de notre évêque vénéré : « il a bien mérité de la religion et de l’Eglise pendant les 48 années qu’il a consacrées au service des autels, édifiant les fidèles par sa piété, sa dignité et son exactitude dans l’accomplissement de ses honorables fonctions ».
Il a aimé ses fonctions qui le rapprochaient de l’autel et du bon Dieu ; il a aimé les cérémonies du culte auxquelles il participait volontiers parce qu’il aimait l’Eglise et ses offices. Son exactitude était extrême, et tous les prêtres dont il fut le collaborateur intelligent et attaché n’ont pu que louer cette régularité constante et l’attention incessante pour tout ce qui concernait ses fonctions. Connaissant bien les règles de la liturgie, il observait fidèlement ; en un mot, il était dévoué à l’Eglise et il avait communiqué aux siens un même attachement et un égal dévouement pour tout ce qui intéresse l’autel et le culte sacré. D’ailleurs, sa profonde piété ne lui eut pas permis d’agir autrement ; piété solide et intelligente qui ne se perdait pas dans l’accessoire mais allait droit au but, c’est-à-dire à Dieu. Tous les matins, je n’oublierai pas ce détail, je l’ai vu s’agenouillant longuement au pied de l’autel, offrant à Dieu sa journée, lui recommandant ses intérêts et ceux de sa famille avant d’aller joyeusement à ses occupations.
Pour le bien apprécier, il faut certes tenir compte de sa serviabilité de ce caractère heureux qui l’a rendu populaire et sympathique ; mais surtout, il fallait le voir de près et dans l’intimité : homme de bon sens, de bon jugement et de bon conseil, d’une honnêteté scrupuleuse. Avec toutes ces qualités, il était facilement heureux, étant, comme il le disait il y a quelques jours, « en paix avec tout le monde » parce qu’il était d’abord en paix avec Dieu.
Voulez-vous mesurer sa piété et la force de ses convictions chrétiennes ? C’est une bonne et belle leçon qu’il nous a donnée et je veux que vous puissiez en tirer profit. Sa maladie qui semble-t-il le guettait depuis quelques temps, le terrassait il y a quinze jours. C’est une maladie grave, il le sait, et toutefois on espère bien que l’issue en sera heureuse et la guérison rapide. Mais son intelligence et sa piété veillent ; au cours de sa longue carrière, il a vu de près bien des maladies et il ne sait que trop bien que la maladie dont il souffre amène souvent des surprises et des dénouements rapides. Aussi, de lui-même, il fait appeler le prêtre et reçoit le Sacrement de Pénitence et l’Eucharistie ; il ne veut pas, je vous redis ses paroles, « que le prêtre arrive quand la fièvre ou l’abattement ne permettent plus de recevoir les sacrements avec la pleine connaissance de ce que l’on fait ». Et voulant aussi, je reprends encore ses paroles : « que l’on sache bien qu’il a reçu la Sainte Communion et que l’on apprenne à son exemple à recevoir à temps les secours de la Religion ». Et le bon Dieu, au service duquel Victor s’était dévoué si longtemps, lui assura la réception de l’Extrême-Onction quelques minutes avant la mort alors qu’on ne pensait pas la fin si proche. Victor aida le prêtre pour cette cérémonie si touchante comme tant de fois il l’avait aidé au chevet des malades de la paroisse ; et quand il a reçu l’Extrême-Onction, toujours calme, il baise la croix avec une foi ardente. Quelques minutes plus tard, sans crise ni angoisse, bien doucement, il rend son âme à Dieu.
N’avais-je pas raison de vous dire que Victor TENRET fut un bon « madjustêr » et qu’il nous a donné de bonnes leçons ? C’est pour l’en remercier que vous êtes ici si nombreux, c’est pour reconnaître les services rendus à l’Eglise que Monsieur le Doyen préside la cérémonie présente.
Pour être pratiques, décidons aujourd’hui de vivre toujours mieux de notre Sainte Religion, sans respect humain, simplement amis loyalement. Proposons-nous de réclamer à temps le secours de la Religion, pour les nôtres comme pour nous.
Et pendant le chant du « Libera me » que notre ami chantait toujours avec soin et grande émotion, demandons au bon Dieu d’introduire au plus tôt dans la douce lumière du paradis, celui qui tant de fois a réclamé cette grâce pour les nôtres.
« Seigneur, accordez-lui l’éternel repos et que la lumière éternelle du paradis brille bientôt pour lui. Ainsi soit-il ».

Ce dossier complétera celui posté en mars 2018 intitulé « Précisions sur « El ruwe du Madjustêr »
*****
© Alain GUILLAUME – 2 octobre 2023.
