Le site métallurgique des usines de Moncheret était un fameux nid d’emplois qui a fait vivre des centaines de familles de la région.
Vers 1972, des rumeurs de fermeture se profilent et la réaction des responsables syndicaux ne se fait pas attendre.
J’ai retrouvé trace d’un premier courrier envoyé au président de la commission paritaire, en date du 5 mars 1973.
Monsieur le Président,
Les travailleurs de Moncheret, vivement émus par l’annonce de la fermeture de leur division, qui, à leur sens, est encore viable pour de nombreuses années, moyennant certains investissements, exigent de la part des responsables une révision de leur plan triangulaire, en tenant compte de la situation particulière de la région sud-est de Charleroi.
Moncheret a toujours été rentable mais exploité depuis 1938 jusqu’en 1966 par la société AMS (Aciéries et Minières de la Sambre) qui n’a fait aucun investissement, repris par la suite par la TMM (Thy-Monceau-Marcinelle) qui a fait travailler à plein rendement avec la même politique de non investissement. Malgré cela nous avons reçu, de 1966 à novembre 1972, des félicitations et marques de satisfaction sur la marche de Moncheret.
C’est pour ces raisons que nous ne pouvons admettre la position de la nouvelle société triangle qui en l’espace de trois mois veut nous faire croire que nous ne sommes plus viables.
Les travailleurs de Moncheret
Situation géographique et économique de Moncheret et de son personnel
Le personnel occupé vient principalement de deux zones : celle de Bouffioulx à Mettet et environs ; celle de Bouffioulx à Florennes et environs.
Sur 653 personnes (30 employés et 623 ouvriers), les deux zones fournissent 470 employés et ouvriers. Il reste donc 183 membres du personnel qui viennent des communes de Châtelet, Châtelineau, Pont-de-Loup, Aiseau, Presles, etc.
Cette région a perdu grand nombre d’emplois au cours de ces dernières années ; Bouffioulx, par exemple, a perdu MAXIMA « La Biesme », des fonderies, des poteries, des carrières. Pour le reste des deux zones, sont disparues : carrières, sablières, marbrerie, scierie et combien d’autres exploitations familiales, sans oublier les petites exploitations agricoles.
La production de Moncheret
Elle est de plus ou moins 15.000 tonnes par mois en petits produits, fers marchands et spéciaux très élaborés qui, bien souvent, ne sont au départ que des billettes inutilisables sur des trains modernes. Les deux trains sont mécanisés de façon à travailler (suivant les produits) soit à la main, soit avec mécanisation, dans des temps de montage très courts.
Il faut aussi ajouter à cela les possibilités de parachèvement tels que découpage, perçage, épointage, mise en couleur, goudronnage, dressage, bottelage, etc.
L’équipe FGTB-CMB de Moncheret – Mai 1973.
Un grand nombre de personnel qualifié gravitait autour des laminoirs, ce qui permettait à ces derniers d’être munis d’un bon outil de travail primordial pour sortir des profilés spéciaux et de très bonne qualité. Plusieurs écoles industrielles dont les plus réputées étaient « Les Aumôniers du Travail » et « L’Université du Travail » de Charleroi fournissaient de la main d’œuvre hautement performante. De plus, des cours du soir y étaient prodigués aux personnes qui désiraient se perfectionner dans un métier bien défini : ingénieur industriel, dessinateur industriel, électricien, bobineur, ajusteur, modeleur, menuisier…
« LE JOURNAL DE CHARLEROI » du 26 mars 1975
Adieu MONCHERET
C’est donc une longue histoire industrielle qui prendra fin puisque l’usine de Moncheret est très ancienne.
Elle se nommait jadis « Forges et Hauts-Founeaux de DORLODOT-HOUYOUX » sur le Ruisseau d’Hanzinne. Cette usine était anciennement une platinerie : elle est citée en 1704 et appartenait en 1810 à N.-J. LORENT & Cie. Par arrêté du 25 septembre 1829, le baron DECARTIER d’YVES fut autorisé à transformer cette platinerie en un haut-fourneau à fondre, au moyen du charbon de bois ou du coke, selon les qualités de fonte qui seraient demandées.
Le 16 mai 1855, Eugène-François de DORLODOT-HOUYOUX obtient la permission de construire un haut-fourneau au coke sur l’emplacement d’une foulerie que lui avait cédée le sieur G. BAILLY. Un arrêté du 27 février 1837 a autorisé l’ajout d’une affinerie à l’anglaise près de son haut-fourneau. Un troisième haut-fourneau a été autorisé le 12 novembre 1851.
On le voit, tout cela ne date pas d’hier et on lit dans « Souvenirs » du baron de DORLODOT publié en 1947 que les Forges d’Acoz, qui appartenaient également à sa famille, constituaient en 1869 une des plus fortes industries du pays. Les laminoirs occupaient à cette époque 1.295 ouvriers et produisaient 51.850 tonnes, tandis que pour cette branche, COCKERILL n’avait que 993 ouvriers pour une production de 29.475 tonnes.
En 1753, on comptait à Acoz : un haut-fourneau appartenant au comte de QUIEVRAIN, seigneur de Quiévrain ; une forge à deux affineries à M. PUISSANT de Marchienne.
La forge dite de Saint-Eloy a été autorisée le 25 avril 1761 ; le propriétaire alors était Joseph PUISSANT. En 1806, Gauthier PUISSANT changea cette forge en platinerie à cause de « circonstances désavantageuses ». Vers 1812, il y établit un laminoir en place de marteau. En 1826, Pierre-Joseph HOUYOUX, de Bousval, propriétaire de cette usine, y établit un laminoir pour étirer le fer en barres. Un arrêté royal du 18 août 1828 autorisa le propriétaire à remplacer le laminoir à tôles par plusieurs autres laminoirs propres à étirer le fer en tôles, en verges et en barres et à ajouter à cet établissement un cylindre dégrossisseur et 6 fours à réverbère pour fondre, affiner et chauffer le fer au moyen de la houille.
Un arrêté du 14 novembre 1829 autorisa P.-J. HOUYOUX et son gendre Eugène-François de DORLODOT à ajouter à cette usine un haut fourneau à fondre le minerai de fer et un fourneau de finerie pour convertir la fonte en métal. Des arrêtés du 16 mai 1835, du 28 juin 1837 et du 30 décembre 1840 ont autorisé des modifications ou prononcé la maintenue.
Cette usine, disait un ingénieur en 1840, jointe à celle de Bouffioulx, appartenant au même propriétaire, forme l’établissement sidérurgique le plus considérable de tous ceux possédés dans le 2e district par un particulier.
Le laminoir a été construit en plusieurs étapes. L’usine avait été montée, dans le principe, pour marcher au moyen de l’eau et c’est seulement plus tard qu’on a successivement soumis le train ébaucheur à une machine à vapeur et ajouté les trains à rails et à petits fers.
Une longue histoire qui s’achève donc, c’était inévitable. Mais selon le président de la délégation syndicale, Gustave COLLYNS, on aurait dû le faire moins brutalement.
La meilleure formule, dans l’absolu, aurait été d’attendre la mise en service de la nouvelle unité de production actuellement en construction, sous le nom de CARLAM, dans le port de la Praye à Châtelineau.
Nous avons déjà largement évoqué dans le passé ce que sera ce train à larges bandes ultra-moderne, capable de produire de l’acier inoxydable et de l’acier à grains orientés. Normalement, elle aurait dû produire ses premières tonnes d’acier en 1976.
La situation économique étant ce qu’elle est malheureusement, on pourrait les attendre jusqu’en 1978, et il semble que c’était beaucoup demander au patronat que de maintenir Moncheret en vie jusqu’à ce moment.
L’exploitation était en effet devenue largement déficitaire.
On n’attendra donc pas CARLAM pour reclasser, aussi bien que possible, les ouvriers de Moncheret, mais cela n’ira pas sans mal…
Le conseil d’entreprise de Moncheret a accepté la proposition syndicale tendant à étaler les opérations de déplacement des travailleurs en 3 phases : le 30 avril, le 15 mai et le 30 mai 1975. On est arrivé à ce qu’on accorde la prépension à tous les travailleurs de 60 ans et plus, les autres étant reclassés dans les usines du groupe de la région. Ils seront 135 dans ce cas qui ont été compléter des équipes à Monceau et Marcinelle.
De plus jeunes ouvriers ont quitté la sidérurgie pour des emplois dans les administrations, intercommunales, services des travaux des communes de la région, certains même ont été engagés dans les services de polices communales ; pour d’autres, la solution fut de se lancer dans des activités d’indépendants.
Nombreux courriers…





La réaction du personnel

Souvenirs
- En 1962, la diffusion de la série télévisée britannique « le Saint », en raison des initiales de sa vedette Simon TEMPLAR, allait susciter un véritable engouement dans les foyers. On rencontrait le logo dans les étals des marchés, aux pare-brise des voitures, bref, un peu partout. L’atelier d’ajustage de Moncheret s’est lancé dans la fabrication (on va dire « non officielle ») et rares sont les foyers qui ne possédaient pas la petite figurine.

- En haute conjoncture, les équipes de lamineurs étaient très productives et recevaient des primes de productivité. Une rivalité allait naître entre les contremaîtres. Ce fut le cas entre Wilhem BERTULOT, surnommé « Barabas », et son fils Willy, dit « L’Agace ». Lorsque Wilhem était satisfait des performances de son équipe et avait donc battu celle de son fils, en reconnaissance il offrait chocolat et… cigares.
- les années 65-70, de nombreux sidérurgistes se retrouvaient le dimanche matin au café « Au Voltigeur» à Acoz, tenu par Fernand et Andrée HANQUART. Le commerce tournait à plein rendement avec de-ci, de-là, des conversations qui convergeaient toujours autour de Moncheret. J’entends encore « billettes », « tonnage », « pause de nuit », « cylindre »… Jeune typographe à l’époque, je n’avais pas beaucoup de conversation !
- Les transports publics des ouvriers à Moncheret étaient très bien organisés et gérés par les autobus « LARDINOIS » de Villers-Poterie. Dès 5 heures 30 jusqu’à 22 heures 30, ceux-ci transportaient les ouvriers sur trois grands axes : Châtelineau, Florennes et Mettet.
- Certains ouvriers étaient affublés d’un surnom. Deux anciens, Michel DEGRAUX et Gustave PIRMEZ, se souviennent : « Barabas, L’Agace, Cigarette, Fil de Fer, Gros Stomac, El Carrè, El Gros Bil, El Caty, Aimable, Laplume, El Flamint, Cougnet, El Baudet, Lacane, El Coréen, Toufoume, Bobet, El Betchet, El Chimot, El Grand Bert…… » (liste non exhaustive).
- On refroidissait les lignes des laminoirs au moyen de l’eau pompée dans le « Ruisseau d’Hanzinne ». L’eau tiédie était rejetée au lieu-dit « El Tchôt’ Euw », (l’Eau Chaude), fréquenté et apprécié par la jeunesse de Chamborgneau et de Bouffioulx.

L’album souvenirs…
































Ce dossier a été conçu grâce aux archives de Gustave COLLYNS, délégué principal des usines de Moncheret. Je remercie vivement sa fille Noëlla de m’avoir permis l’accès à ces témoins du passé.

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© Alain GUILLAUME – 14 avril 2025.









Cher Monsieur Guillaume .
Je vous remercie pour ce document.
Très cordialement .
Baron Jean-Pierre de Dorlodot
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Bonjour Alain, Quel article fouillé ! Quelle documentation ! Quelle plume !Vraiment, je me suis régalé à la lecture de cet article.A propos… c’est quoi, Moncheret ? Un lieu-dit ? Un patronyme ?
Marc DUMONT
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Le début de la chute de nos industries… Quelle tristesse ! Merci Alain pour Le témoignage.
Alain STRUELENS.
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Un admirable document, comme toujours.
Jean-Christophe LAMBOTTE.
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Mille Bravos et merci pour ce beau document sur l ‘histoire industrielle d’Acoz.
J-P H
Le lun. 14 avr. 2025 à 16:44, ACOZ, vie locale d’un village au coeur de
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Merci ! Alain GUILLAUME.
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Mille Bravos et merci pour ce beau document sur l‘histoire industrielle d’Acoz.
Jean-Pierre HUBERT
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Joli coup d’oeil dans le rétroviseur, très bien documenté.
Etienne.
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